A Haïfa, le Technion attire toujours plus d’étudiants français
LE MONDE | 12.09.2016  Par Marine Miller

A Haïfa, sur les pentes luxuriantes du mont Carmel, le campus du Technion semble désert. Pourtant, c’est
ici que bat le cœur scientifique de la « Silicon Wadi », la Silicon Valley israélienne. « 1 600 start-up sont
sorties du Technion ces vingt dernières années, 811 sont encore actives et 296 ont été rachetées ou
fusionnées », décompte Moshe Sidi, vice-président de l’université. Parmi les succès les plus connus : la clé
USB, un médicament contre la maladie de Parkinson ou Rewalk, un robot pour aider les paraplégiques à
marcher à nouveau.
Créé en 1912 dans la Palestine de l’Empire ottoman, le Technion est d’abord conçu pour former des
ingénieurs capables de construire les infrastructures d’Israël. Aujourd’hui, l’institut technologique est
devenu un centre de recherche et d’innovation qui rivalise avec le célèbre Massachusetts Institute of
Technology (MIT), à tel point que la formule « MIT du Moyen-Orient » est régulièrement utilisée pour
désigner le Technion.
Si le campus semble désert en cet été 2016, ce n’est pas seulement à cause de la chaleur écrasante ou des
examens, c’est parce que le secret de sa réussite se niche d’abord dans ses laboratoires. Morgan, Jeffrey,
Coralie et David, quatre chercheurs en contrat post-doctoraux et en thèse, ont été recrutés par le professeur
de chimie Ilan Marek. Ces quatre étudiants français et belges n’en doutent pas : pour eux, le laboratoire
du chercheur franco-israélien est « l’un des meilleurs au monde ».
Morgan, 27 ans, indique avoir envoyé plusieurs candidatures de post-doctorat aux laboratoires de chimie
les plus réputés. « Celui du Technion était dans mon top 3, avec celui de l’université Saint Andrews en
Ecosse », précise le jeune homme. Jeffrey, étudiant belge en thèse, explique avoir quitté l’Europe pour
faire « une chimie très spécifique dans un endroit exotique ». Mais aussi pour les moyens qui sont déployés
dans les laboratoires de l’institution de Haïfa. « La Belgique, qui n’est pas un pays pauvre, n’a pourtant
clairement pas les mêmes moyens financiers que le Technion », estime le thésard. Un argument
convaincant pour ces jeunes chercheurs en chimie, qui ont besoin d’un matériel de pointe très coûteux.
En quête d’excellence
Depuis quelques années, sur le marché des étudiants internationaux, le Technion concurrence directement
les plus grandes universités mondiales. « Nous avons aujourd’hui 1 200 étudiants internationaux sur 14
000 étudiants, soit 30 % de plus qu’il y a sept ans », explique Muriel Touaty, représentante du Technion en
France. Illustration par l’exemple dans le laboratoire du chimiste Ilan Marek : sur seize chercheurs,
quatre sont israéliens (dont deux Arabes israéliens), un est belge, trois sont indiens, trois chinois, trois
français et deux allemands.
« Il y a encore quelques blocages qui agissent sur les étudiants plus jeunes – comme le fait qu’Israël est
perçu comme un pays à risques géopolitiques et que c’est un Etat juif, explique Sébastien Linden, attaché
de coopération scientifique et universitaire à l’ambassade de France en Israël. Mais ces freins ne rentrent
absolument pas en considération pour le choix des étudiants en doctorat ou post-doctorat. C’est la logique
de la recherche mondialisée qui prévaut, celle de la compétition pour entrer dans les meilleurs
laboratoires. » D’autant que, selon lui, le Technion, comme le MIT, « jouit d’une reconnaissance
institutionnelle immédiate dans le milieu de la recherche et de l’innovation ».
Pour être compétitive, l’université a organisé ses laboratoires sur le modèle américain. « Les labos
fonctionnent comme des start-up », explique Ilan Marek. « Après le stage post-doctoral, lorsque le
chercheur est embauché par le Technion, il reçoit un laboratoire rénové qui peut coûter de 300 000 à 600
000 euros, et une somme d’argent qui permet d’acheter tout un équipement et de commencer une
recherche en incluant les salaires des premiers doctorants ou des post-docs. » Cette somme d’argent, qui s’
appelle « Start-up Money » ou encore « Seed-Money » (capital d’amorçage), est variable en fonction des
disciplines mais peut atteindre 1,5 million d’euros, voire plus dans certains cas, selon le chercheur.
Lire aussi :   Les universités qui ont produit le plus de Prix Nobel au XXIe siècle
En plus des jeunes chercheurs en quête d’un post-doc dans un laboratoire prestigieux, les étudiants des
écoles d’ingénieurs françaises ont depuis quelques années la possibilité de faire une partie de leurs études
au Technion grâce à des accords de coopération. « De Polytechnique à l’Institut Mines Télécom, Paris
Sciences Lettres, Paristech et des universités telles que Lyon, Aix-Marseille, Grenoble, Strasbourg, les
accords de coopération avec le Technion sont passés de 0 à 30 en 10 ans », détaille Muriel Touaty. Ce qui
répond à une volonté explicite de multiplier les liens avec « les institutions d’excellence françaises », selon
Moshe Sidi.
Eva, 22 ans, étudiante ingénieure en 4e année à l’école Polytechnique, a choisi de poursuivre un master en
sciences des matériaux au Technion. « J’étais curieuse de découvrir la start-up Nation et de vivre une
expérience à l’étranger dans un établissement qui est à la pointe du domaine qui m’intéresse. » La jeune
fille, qui estime « posséder une solide culture générale scientifique », a dû néanmoins se remettre
rapidement au niveau des étudiants du Technion, qui suivent les cours de science des matériaux depuis
quatre ans.
En quête de racines
Si ces étudiants venus des grandes écoles d’ingénieurs ou ces jeunes docteurs en quête d’un post-doc
prestigieux sont attirés par la réputation des chercheurs du Technion, Israël attire aussi une autre
catégorie d’étudiants, ceux qui effectuent leur « alya » (immigration des juifs en Israël).
Yoni, 23 ans, vient ainsi d’intégrer le département de génie civil après une année de préparation au
Technion. « J’ai quitté la France à 19 ans avec un bac scientifique sans mention. Je voulais faire mon alya
et commencer des études en Israël. En faisant des simulations, j’ai très vite compris que je n’avais pas le
niveau pour entrer directement au Technion. » L’exigence académique au Technion est élevée et ceux qui
n’ont pas les notes suffisantes au bac ou aux tests psychométriques doivent passer par une année de remise
à niveau.
Direction Tsahal, l’armée israélienne, pour Yoni. Outre la formation militaire, il apprend l’hébreu et les
fondements de la culture israélienne. « J’ai appris beaucoup de choses à l’armée, et déjà à me détacher de
la culture française. Ici, les rapports à la politesse, au formalisme et à la hiérarchie sont totalement
différents de nos standards français. »
Alexandre, 27 ans, aurait pu intégrer une classe prépa scientifique en France et passer les concours des
écoles d’ingénieur après avoir obtenu son bac S en 2006 avec mention très bien. Au lieu de suivre ce
chemin qui lui semblait déjà tracé, il décide alors de partir un an en Israël, « pour voir si ça lui plaît ».
Eduqué dans une école juive parisienne, il poursuit ses études dans une yeshiva, un centre d’étude
talmudique, à Jérusalem pendant un an. Puis il est admis au Technion sans faire l’armée en raison de sa
surdité.
« Je me sens bien à ma place ici. La mentalité me correspond. Les Israéliens ne sont pas pressés de faire
des études et d’entrer dans une carrière. Ils font l’armée, voyagent, trouvent un travail, se lancent dans les
études et font un autre métier », raconte l’étudiant français en génie biomédical. « J’ai l’impression que ce
que l’on construit ici au Technion participe à la vie du pays. La France est une nation déjà construite dans
laquelle il faut trouver, puis conserver sa place toute sa vie », conclut Alexandre, qui semble ne plus
vouloir rentrer en France.
Prendre son temps, « digérer » les années d’armée (36 mois pour les garçons et 24 mois pour les filles),
voyager, grandir et se lancer enfin dans les études. « L’enseignement supérieur israélien est adapté à la
sociologie de ses étudiants, qui sont plus matures et plus motivés », analyse Moshe Sidi. Un modèle d’
enseignement et de recherche qui séduit aussi de plus en plus d’institutions. « Il y a un intérêt croissant des
établissements français à venir en Israël, Polytechnique, Sciences Po, HEC, l’ESCP et désormais les
universités nouent des partenariats avec les universités israéliennes, ce qui montre que la tendance va se
poursuivre », souligne Sébastien Linden.

Marine Miller  Journaliste au Monde

Le Technion attire toujours plus d’étudiants français
Technion is attracting more French students
The English translation follows the article in French
LE MONDE | 12.09.2016  Par Marine Miller
In Haifa, the Technion is attracting more French students
Le monde | 12/09/2016 By Marine Miller

In Haifa, on the lush slopes of Mount Carmel, the Technion campus seems deserted. Yet it is the beating
heart of the scientific "Silicon Wadi", Israel's Silicon Valley. "1600 start-ups came out of the Technion in
the last twenty years, 811 are still active and 296 were acquired or merged" tells Moshe Sidi, the university
vice president. Among the best-known success: the USB key, a drug against Parkinson's disease or
ReWalk, a robot to help paraplegics to walk again.
Established in 1912 in the Ottoman Empire Palestine, the Technion is primarily designed to train
engineers capable of building the infrastructure of Israel. Today, the technological institute became a
center of research and innovation that rivals the famous Massachusetts Institute of Technology (MIT), so
much so that the phrase "MIT of the Middle East" is regularly used to refer to the Technion.
If the campus seems deserted in this summer 2016, it is not only because of the scorching heat or
examinations, it is because the secret of its success is primarily hiding in its laboratories. Morgan, Jeffrey,
Coralie and David, four researchers in post-doctoral thesis contract were recruited by chemistry professor
Ilan Marek. These four French and Belgian students have no doubt: for them, the laboratory of the
Franco-Israeli researcher is "one of the best in the world."
Morgan, 27, said he has sent several post-doctoral candidacies with the most reputable chemical
laboratories. "The Technion was in my top 3, with that of Saint Andrews University in Scotland," said the
young man. Jeffrey, Belgian PhD student, said he left Europe to make "a very specific chemistry in an
exotic location." But also because of the means that are offered in the laboratories of the Haifa institution.
"Belgium, which is not a poor country, clearly does not have the same financial resources as the
Technion," says the PhD student. A convincing argument for these young researchers in chemistry, who
need a very expensive modern equipment.
Striving for excellence
In recent years, on the market for international students, the Technion is in direct competition with
world's leading universities. "Today we have 1,200 international students out of 14 000 students, or 30%
more than seven years ago," says Muriel Touaty, representative of the Technion in France. Illustration by
example in the laboratory of chemist Ilan Marek: sixteen researchers, four Israelis (including two Israeli
Arabs), one Belgian, three Indians, three Chinese, three French and two Germans.
"There are still some bottlenecks that affect younger students - like the fact that Israel is perceived as a
country with geopolitical risks and that it is a Jewish state, says Sébastien Linden tied to scientific and
academic cooperation with the Embassy of France in Israel. But these brakes absolutely do not come into
consideration for the selection of PhD students and post-docs. The logic of globalized research prevails, the
competition to get into the best laboratories. "Especially since, according to him, the Technion, like MIT,"
has an immediate institutional recognition in the world of research and innovation. "
To be competitive, the university has organized its laboratories on the US model. "The labs operate like a
start-up," says Ilan Marek. "After the post-doc, when the researcher was been hired by the Technion, he
receives a renovated laboratory which can cost from 300 000 to 600 000€, and a sum of money to purchase
all the necessary equipment and to start a research, including the wages of the first PhD students or
postdocs. "This sum, called" Start-up Money "or" Seed-Money "(seed capital) is variable depending on
disciplines but can reach 1.5 million euros or more in some cases, according to the researcher.
In addition to young researchers looking for a post-doc in a prestigious laboratory, in recent years students
in French engineering schools have the opportunity to do part of their studies at the Technion through
cooperation agreements. "From Polytechnique, to the Institute Mines Telecom, Paris Science Lettres,
ParisTech and universities such as Lyon, Aix-Marseille, Grenoble, Strasbourg, cooperation agreements
with the Technion went from 0 to 30 in 10 years," explains Muriel Touaty. This responds to an explicit
desire to increase links with " French institutions of excellence," according to Moshe Sidi.
Eva, 22, 4th year engineering student at the École Polytechnique, chose to pursue a master's degree in
materials science at the Technion. "I was curious about the start-up nation and wanted to live an
experience abroad in a facility that is at the forefront of the field that interests me. "The young lady, who
believes " to have a solid general scientific culture "still had to catch up quickly with the Technion
students who have been following materials science courses for four years.
In search of roots
If these students from all engineering schools or these young doctors looking for a prestigious postdoctoral
are attracted by the reputation of researchers from the Technion, Israel also attracts another category of
students, those who carry their "aliyah" (immigration of Jews to Israel).
Yoni, 23, has joined the civil engineering department after a year of preparation at the Technion. "I left
France at 19 with a science graduate without honors. I wanted to do my aliyah and begin studies in Israel.
By simulations, I quickly realized that I did not have the level to enter directly at the Technion. "The
academic requirement at the Technion is high and those who do not have sufficient notes at graduation or
psychometric tests have to go through a year of upgrading.
Direction: IDF, the Israeli army, for Yoni. Besides military training, he learned Hebrew and the
foundations of Israeli culture. "I learned many things in the army, and already to detach myself from the
French culture. Here the relations to politeness, formalism and hierarchy are totally different from our
French standards. "
Alexander, 27, could have integrated a scientific preparatory class in France and prepared the competitive
exams to enter engineering schools after graduating high school in 2006 with honors. Instead of following
this path that seemed already traced for him, he decided to spend a year in Israel, "to see if he likes it."
Educated in a Parisian Jewish school, he studied in a yeshiva, a Talmudic study center in Jerusalem for
one year. Then he was admitted to the Technion without the army because of his deafness.
"I feel good in my place here. The mentality is right for me. The Israelis are not eager to study and enter
into a career. They go to the army, traveling, get a job, engage in studies and have another trade, "said the
French student in biomedical engineering. "I feel that what we built here at the Technion is participating
in the country's life. France is a nation already built in which one has to find his place and retain it during
one’s whole life, "says Alexander, who seems not to want to return to France.
Take your time, "digest" the years of army (36 months for boys and 24 months for girls), travel, grow and
finally throw yourself in the studies. "The Israeli higher education is adapted to the sociology of its
students, who are more mature and motivated," Moshe Sidi’s analysis. A model of teaching and research
also attracting more and more institutions. "There is a growing interest of French institutions to come to
Israel, Polytechnique, Sciences Po, HEC, ESCP and now universities forge partnerships with Israeli
universities, which shows that the trend will continue," says Sébastien Linden.

• Marine Miller
Journalist for Le Monde
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