Haifa, bulle de High-tech
de Liberation

avant les elections du 28 mars Bulle d'air high-tech Au pied du mont Carmel,
le Matam abrite les labos des cadors mondiaux de l'informatique. Ce filon de
matiere grise, qui attire une ruee d'investisseurs occidentaux, place Israel en
troisieme position derriere les Etats-Unis et le Canada, pour ses cotations au
Nasdaq. par Didier FRANCOIS QUOTIDIEN : jeudi 23 mars 2006 Haifa,
envoye special   Joyau de l'economie israelienne, le Matam, centre des
industries scientifiques, s'est cisele un ecrin a la mesure de son succes. Au
pied du mont Carmel, en bordure de Mediterranee, un incroyable ֲ«parc de
haute technologieֲ» s'eleve desormais sur une ancienne friche de 20 hectares
en lieu et place de vieux hangars portuaires. Coules dans la verdure, temples
modernes entierement dedies a la recherche de pointe, deux dizaines
d'immeubles en beton brut et verre fume abritent les laboratoires de tous les
principaux acteurs du secteur informatique mondial. Les geants du marche
international, Intel, Microsoft, Philips, Motorola ou Hewlett Packard, cֳ´toient
ici les jeunes entreprises les plus dynamiques du pays, Elbit Systems, ChipX,
Zoran, Zim Ofer. Dans cette pepiniere a idees neuves, pas moins de 6 000
chercheurs, des ingenieurs, des techniciens, pionniers dans leur domaine,
travaillent a developper aujourd'hui la trouvaille geniale qui fera l'ordinaire
de demain. Et ce filon de matiere grise attire en Israel une ruee
d'investisseurs, specialistes en capital-risque, en quete de la prochaine pepite
electronique. Une source de revenus inestimable pour un pays lourdement
handicape par le cout d'un interminable conflit. Sur le meme sujet ג€¢ De
lourdes disparites economiques Petits genies embauches a bon prix Dans le
cocon du Matam de Haifa, les echos des accrochages dans les Territoires
palestiniens occupes arrivent tout aussi etouffes que sur les postes de
television californiens de la Silicon Valley. A l'image de son modele
americain, le monde du high-tech israelien vit dans une bulle confortable oֳ¹
les soucis du quotidien sont reduits a leur plus simple expression. L'attention
des employeurs semble sans limites pour que leurs petits genies, embauches a
bon prix, puissent se concentrer sur l'accomplissement de leurs reves
numeriques. Aucun detail n'a ete laisse au hasard. Chacun dispose d'une
place de stationnement nominative. Le Matam reserve a l'usage de ses hֳ´tes
une station-service et un garage, une clinique, une banque, un bureau de
poste et une agence de voyages. Cerise sur le gateau, une creche de onze
classes peut accueillir jusqu'a 350 cherubins ages de 3 mois a 6 ans. Bezeq, la
compagnie israelienne de telephone cellulaire, gere un central de
communication a tres haut debit quand la municipalite affecte, en
permanence, deux transformateurs electriques aux seuls besoins en energie
du parc. Les rares pauses que s'accordent les informaticiens se prennent sur
le pouce au Machinetta Coffee Shop. Ce bar aux allures de cafeteria est situe
dans le hall de la Matam Towers 1, un immeuble de bureaux aux grands
espaces traverses de passerelles reliees entre elles par des ascenseurs
interieurs en acier gris. Les murs s'elevent en abruptes parois chaulees
d'ocre rouge. Dans cette ambiance, un poil Star Trek, des haut-parleurs, que
dissimulent des palmiers cultives en bacs, diffusent des chansons de
Brassens et d'Edith Piaf. Aux tables alentour, personne ne s'en etonne.
L'anglais domine dans des conversations matinees de tous les accents
concevables, hebreu, americain, russe ou francais. Les tenues sont
decontractees, mais chacun porte, passe autour du cou, un badge plastifie
indispensable pour circuler entre les divers contrֳoles de securite. Bienvenue
sur la planete high-tech, berceau de la mondialisation, laboratoire de notre
futur, ou l'expresso se boit avec sucrettes, coupe de lait cremeux. Monde a
parֲ» Au Matam, tu te sens quelqu'un de special vivant dans un monde
a part, admet bien volontiers Avi Ohana, embauche par Intel sur un salon
d'informatique a Paris des la fin de ses etudes. Tu trouves ici toutes les
nationalites possibles, des Indiens, des Argentins. Pour communiquer, on
utilise comme des fous Babylon, un logiciel de traduction simultanee invente
en Israel. Les boֳites multinationales sont totalement ouvertes. A Intel, on
travaille meme avec des Arabes. Les societes israeliennes en revanche leur
refusent tout acces. Elles ont toujours un lien avec la Defense. A table, lors
des gros evenements, on parle de politique, ce qui serait impensable dans les
laboratoires aux Etats-Unis. Ca ne pose aucun probleme, le milieu du high-
tech israelien tend plutֳ´t vers le centre, c'est une sorte de miroir de la societe
israelienne mais sans ses extremes et beaucoup plus liberal d'un point de vue
economique. Dans l'ensemble, on discute bien plus de nos salaires ou de
football que de politique. Avi connaait son affaire. Ce specialiste en
architecture des microprocesseurs a atterri a Haifa il y a douze ans. Le
numero 1 mondial de la puce informatique avait des besoins enormes. 2000
employes travaillent a Haifa dans son centre de developpement
specialise dans les unites centrales pour ordinateurs. Le processeur Centrino
a ete developpe ici, souligne Avi, et nous mettons la touche finale au projet
qui va remplacer le Pentium, le processeur qui equipe la tres grande majorite
des ordinateurs dans le monde. D'ici quelques mois, l'essentiel de la
production d'Intel sortira de ses chaֳ®nes israeliennes. L'entreprise
americaine possede deja deux usines dans le pays. Celle de Kiryat Gat
fabrique des cartes de memoire flash. Une nouvelle ligne est en cours
d'achevement; elle traitera les applications issues de la nanotechnologie et
produira de minuscules transistors bien plus fins qu'une feuille de papier a
cigarette. Prevue pour ouvrir au second semestre 2008, cette usine emploiera
2 000 techniciens a la fabrication de plaques de silicium. Intel aura alors
debourse la somme astronomique de 3,5 milliards de dollars, faisant du
projet Fab-28 le plus important investissement industriel de l'histoire de
l'Etat hebreu. Lors de la signature, en decembre dernier, le gouvernement
israelien a annonce l'octroi de 525 millions de dollars en credits pour
financer l'achat du terrain et une aide de 600 millions de dollars pour la
modernisation de l'usine existante. Un effort considerable pour le budget du
pays. ֲ«Nous avons eu un debat tres intense sur la question de savoir si nous
devions apporter a Intel l'aide necessaire a son investissementֲ», reconnait
Ehud Olmert, qui assure l'interim du Premier ministre Ariel Sharon, mais
qui a soutenu a bout de bras ce projet au cours des deux dernieres annees a
la tete du ministere de l'Industrie puis de celui des Finances. ֲ«Le fait que
l'on puisse, aujourd'hui, investir 5 milliards de dollars en Israel, c'est aussi
affirmer que le Hamas ne nous fait pas peur, que le terrorisme ne nous
effraie pas et que l'on a confiance dans l'Etat d'Israel, son gouvernement,
son peuple et sa stabilite economique, souligne-t-il. Intel a ete la premiere
compagnie a y investir, il y a plus de trente ans, ouvrant la voie a IBM,
Motorola ainsi qu'a d'autres entreprises venues du monde entier. Et aucune
d'elle n'a jamais eu a le regretter.ֲ» L'economie locale n'a pas eu plus a s'en
plaindre. Ses partenaires internationaux se sont reveles d'une grande fidelite
lors de la recession qui a frappe le pays de 2000 a 2003, conjugaison d'une
reprise de l'Intifada palestinienne et de l'eclatement de la bulle speculative
dans les start-up du high-tech. La croissance est repartie depuis 2004, avec
un taux superieur a 4 %. Et la reprise s'est confirmee avec une croissance de
5,2 % en 2005, selon le Bureau central des statistiques. Plus de 100 societes
israeliennes sont cotees au Nasdaq, ce qui place Israel en troisieme position
derriere les Etats-Unis et le Canada. Les investissements etrangers se sont
eleves a 9,7 milliards de dollars l'an dernier, en hausse de 67 %. Cet afflux a
dope la Bourse dont les principaux indices ont progresse de quelque 30 % en
2005. Et Israel talonne desormais les Etats-Unis pour l'importance du
capital-risque. Cet exceptionnel dynamisme de la haute technologie
israelienne creuse aussi surement le fosse avec une societe palestinienne
rendue exsangue par l'Intifada que le mur de securite erige autour des
territoires occupes. D'autant que le conflit ne semble pas totalement etranger
a ce nouvel elan economique. La permeabilite entre recherche militaire et
applications civiles compte au nombre des raisons qui contribuent au succes
du high-tech israelien. Ainsi les cartes de memoire flash produites a Kiryat
Gat sont une invention concue au depart par l'armee de l'air pour
equiper ses avions de chasse avec une base de donnees mecanique et
compacte qui resiste aux conditions extremes du pilotage de combat. ֲ«Une
solution technique developpee pour les militaires finit toujours par trouver
un debouche dans le civilֲ», souligne Amit Mendelsohn, concepteur de
logiciels passe lui-meme de l'armee au civil, et redacteur de Chief, une
newsletter en hebreu. Experience acquise a l'armee ֲ«Prenons l'exemple de la
securite des donnees et de leur transmission. C'est un secteur dans lequel les
Israeliens sont leaders a travers une entreprise comme Check Point, explique
Amit Mendelsohn. L'un de ses trois fondateurs, Gil Shwed, a conCu le
premier pare-feu en 1993. Il a entame des etudes a l'universite de Jerusalem,
mais a acquis toute son experience au cours de ses trois annees passees sous
les drapeaux. Chaque annee, des dizaines de jeunes arrivent sur le marche
de la recherche, munis de leur diplome militaire et d'une solide experience
dans les domaines de pointe.ֲ» ֲ«J'ai commence l'informatique lorsque j'avais
15 ans, car mon lycee avait signe une convention avec l'universite de Tel-
Aviv, raconte un specialiste des logiciels de telesurveillance sans fil. A 18
ans, j'ai rejoint une unite des renseignements militaires chargee de la recolte
des donnees electroniques. C'est la que j'ai acquis mon experience de
recherche. En fait, quand un probleme pratique se pose, nous apprenons a
chercher des solutions qui ne soient pas conventionnelles ou auxquelles
l'adversaire ne va pas penser. Les chefs vont alors mettre en place de petites
equipes pluridisciplinaires en fonction des besoins. Ils peuvent egalement
mettre plusieurs equipes en concurrence. Ce type de fonctionnement tres
souple, autour de la recherche d'une idee et de son application, est en fait
tres proche du mode de fonctionnement d'une start-up. L'arrivee massive
d'immigrants quittant l'ancienne Union sovietique, a partir de 1990, a
considerablement renforce le potentiel de recherche d'Israel. ֲ«Les Russes
devaient faire face au meme probleme que les Israeliens, souligne Avi
Ohana, du a leur manque chronique de moyens, il leur fallait se demener
pour trouver des solutions technologiques originales et peu couteuses. Elle
est la notre force. En Israel, on a la hutzpa, le toupet qui manque aux
Americains. Les jeunes ici veulent reussir. Et les Israeliens veulent toujours
faire mieux que les Americains. Le high-tech, ici, c'est une sorte de fierte
nationale.
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